" J'ai
besoin de connaître la géologie ,comment
Sainte-Victoire s'enracine (...) . Si je fais
(...) partager le frisson aux autres ,
n'auront-ils par un sens de l'universel plus
obsédant peut-être , mais combien plus fécond
et plus délicieux " ( P. Cézanne , Lettre
à J. Gasquet cité par Doran P. M , 1978. -
Conversations avec Cézanne , Paris , Macula
édit., p. 122 .
"
Imaginons un instant que des hommes aient été
contemporains de la formation de la Montagne
Sainte-Victoire , qu'auraient-ils observé ? -
Rien , ou presque , peut-être , de temps à autre
, un éboulement de la falaise , une inondation ,
quelques tremblements de terre , … ( … ). Mais
les vies humaines , et même les civilisations
humaines , sont bien trop courtes pour percevoir
, par exemple , les replis des couches
géologiques " ( F. Touraine , 1973 ,
op. cit., p. 63 ) .
A la fin du XIXe siècle
le géologue aixois Louis Collot présentait
dans sa thèse de doctorat consacrée à la
description géologique des environs d'Aix , la
première description scientifique de la Montagne
Sainte-Victoire. Plus d'un siècle plus tard
cette évocation magistrale reste encore très
largement exacte et très évocatrice : "
De la ville d'Aix , si
l'on regarde vers l'est , on voit se dresser le
pli de Sainte-Victoire en pente douce vers le
nord , mais se terminer au sud par une muraille
verticale. De fait , partant d'Aix pour
atteindre le sommet , on traverse des terrains
stratifiés que des fossiles nombreux permettent
de rapporter à divers termes de la série marine
" jurassique " ( temps secondaires ). Quant à la
colline rouge du Cengle , qui paraît servir de
piédestal à la montagne , elle appartient à une
formation d'eau douce de la série " Crétacé " (
final des Temps Secondaires ) et " éocènes " (
début des Temps Tertiaires ). Mais on peut voir
, entre les deux formations se dresser
verticalement des rochers découpés en fines
dentelles qui ne sont autres que des brèches que
l'on exploite sous le nom de " Marbre du
Tholonet " " .
Les terrains les plus
anciens qui entrent dans la composition de la
Montagne Sainte-Victoire sont datés du
Jurassique supérieur ( - 150 millions d'années
). Ce sont des formations sédimentaires
déposées en milieu marin et qui se présentent
sous la forme de calcaires durs disposés en gros
bancs. Ces terrains forment toute la crête de la
montagne , ainsi que son revers septentrional
depuis la Croix de Provence jusqu'au Pic des
Mouches . L'ensemble du Midi méditerranéen est
alors recouvert par un vaste océan tropical
duquel émergeaient quelques terres frangées de
récifs coralliens à l'emplacement des pré-Alpes
varoises actuelles. C'est dans un de ces lagons
, correspondant au vaste plateau calcaire actuel
du Plan de Canjuers (non loin de Draguignan ,
Var ) que ces calcaires récifaux ont livré le
squelette remarquablement conservé d'un petit
dinosaure théropode bipède : Compsognathus
corallestris .
L'immersion de la région
se perpétue durant le Crétacé inférieur dont la
présence dans la montagne Sainte-Victoire fut
reconnue par le géologue Corroy dès 1945 .
Ces niveaux datés d'environ - 130
millions d'années et d'une puissance totale
d'une centaine de mètres , sont composés d'une
succession de calcaires marneux , de marnes et
de calcaires coralliens . Entre la Croix de
Provence et le Bau des Vespres , le Crétacé
inférieur est placé sous le Jurassique ( en
position renversé ). Seule la base du Crétacé
inférieur est attestée dans le massif, les
parties les plus récentes en étant absentes
.Cette lacune s'expliquerait par un
commencement d'émersion de la région vers la fin
de cette période et une érosion active
n'épargnant que les couches les plus dures .
La phase d'émersion se
confirme au Crétacé moyen ( Albien-Cénomanien )
où elle donne naissance à une bande de terre
émergée , autrefois appelée " Isthme durancien "
, qui constitue la partie orientale de la grande
île franco-ibérique , elle-même élément d'un
vaste archipel étiré de l'ouest vers l'est
jusqu'en Europe Centrale ( Transylvanie roumaine
et Crimée ). Cette période est celle de
la formation de la bauxite ( un oxyde
d'aluminium coloré en rouge vif par l'adjonction
d'oxydes ferriques ) et qui traduit un important
processus d'érosion biochimique (
bio-rhexistasie ) se traduisant par une attaque
prolongée des roches sous l'action de végétaux
se développant sous un climat tropical chaud et
humide .
Le Crétacé supérieur ( à
partir de - 80 millions d'années ) est bien
représentée dans le massif .Il s'agit pour
l'essentiel de dépôts continentaux déposés dans
une vaste plaine d'épandage parcourue par les
méandres divagants de rivières et de grands
fleuves. Les niveaux les plus anciens
du Crétacé supérieur appartiennent au
Valdo-Fuvélien ( les équivalents locaux et
continentaux du Campanien ).Ce sont des marnes
et des calcaires riches en tests de mollusques
d'eau douce ou saumâtre. Les niveaux les plus
récents du Crétacé supérieur appartiennent aux
étages Bégudien et Rognacien ( équivalents
locaux et continentaux du Maastrichtien ).Ces
formations marneuses rouges , entrecoupées de
lentilles de grès , traduisent l'existence d'une
plaine d'inondation sillonnée de chenaux
d'origine fluviatile . Dans la partie médiane du
Rognacien ces formations laissent temporairement
la place à une puissante formation
marno-calcaire ( 300 à 400 mètres de puissance
) dite " Calcaire de Rognac " riches en
mollusques dulçaquicoles et qui traduit une
modification notable de la géographie locale
maquée par l'extension vers le nord et vers
l'ouest du lac qui occupait la Basse-Provence
depuis le Campanien. Les variations d'extension
de cette étendue lacustre explique la présence
de niveaux grèseux intercalés dans les sédiments
lacustres et qui peuvent contenir localement (
région de Saint-Ser et de Rousset ) des
coquilles et des oeufs de dinosauriens. Le
Crétacé supérieur se termine par des séries
marneuses rouges sus-jacentes à la barre de
Rognac et qui contiennent en abondance des
oeufs de Dinosaures dans les parages méridionaux
de la Montagne Sainte-Victoire ( régions de
Beaurecueil , de Saint-Ser et de Rousset ).
C'est à la fin du Crétacé
, en liaison avec l'orogenèse pyrénéenne , que
surviennent les premiers grands bouleversements
tectoniques dans la région . Vers - 70
millions d'années sur l'Isthme Durancien se
creuse une grande gouttière est-ouest ( le
synclinal de l'Arc ou bassin d'Aix ) .Cette
structure , issue d'une compression nord-sud ,
elle -même liée à la remontée de la plaque
africaine vers le nord , sur l'Europe , se
remplit de sédiments lacustres et fluviatiles.
C'est sur sa bordure septentrionale que se
forme une ride anticlinale dans la région de
l'actuelle Sainte-Victoire. Dans le massif
actuel les niveaux terminaux du Crétacé sont
envahis progressivement par une brèche
tectonique ( roche brisée en éléments à
contours anguleux ) issue de la consolidation de
cônes d'éboulis et qui traduit l'existence d'un
relief attaqué par l'érosion. Le futur
emplacement de la montagne Sainte-Victoire a dû
faire l'objet d'une surrection précoce et plus
marquée que le reste des pourtours du bassin
d'Aix-en-Provence. La présence d'une brèche
tectonique à différents niveaux du
Bégudo-Rognacien ( Maastrichtien ) apporte la
preuve indirecte de l'existence d'un relief
accusé ( anticlinal ) proche subissant un
processus de démantelement progressif sous
l'effet de l'érosion. La configuration générale
de cette première montagne, son altitude , sa
morphologie , nous échapperont à tout jamais
du fait de sa destruction quasi-totale par
l'érosion dès les premiers temps du Tertiaire.
Le seul vestige qui en demeure est le pli de
Bimont ( " les Costes Chaudes " ).
A l'aube des temps
tertiaires ( Eocène ) les conditions de
sédimentation fluvio-lacustre se perpétuent sans
changements ni discontinuités notables . Le seul
évènement singulier est lié à la disparition des
oeufs fossiles de Dinosaures. C'est
l'absence de ces fossiles qui a conduit la
plupart des auteurs anciens , comme
contemporains , à intégrer les marnes rouges
dépourvues d'oeufs fossiles dans l'Eocène .Il
faut cependant remarquer que ce repère
stratigraphique commode ( présence ou absence
d'oeufs fossiles ) est discutable et peu fiable
du seul fait que l'absence d'oeufs fossiles
n'induit pas pour autant l'extinction " de
facto " des animaux pondeurs. Il existe en
effet dans tout le Crétacé supérieur continental
( Campanien et Maastrichtien ) du Midi
méditerranéen des horizons , et souvent des
niveaux de puissance notable , totalement
dépourvus d'oeufs et d'ossements fossiles
attribuables à des dinosauriens. Ce phénomène
indique très probablement le déplacement
temporaire de ces animaux vers d'autres sites de
nidification à la suite de modifications
survenues dans l'écosystème local. Il est
hasardeux , pour ne pas dire absurde , d'y voir
les signes de changements écologiques majeurs et
, a fortiori , d'un phénomène d' extinction
généralisée.
Comme le Maastrichtien
qui le précède l'Eocène est marqué par la
poursuite d'une tectogénèse intense qui se
traduit par de nouveaux empilements de niveaux
bréchiques dans les parages de l'actuelle
Montagne Sainte-Victoire.Il faut noter
que ces niveaux , composés de brèche tectonique
, s'étendent loin vers l'ouest car des sondages
récents permettent d'en confirmer l'existence
jusque dans les environs du village d'Eguilles ,
non loin d'Aix-en-Provence. Ces mouvements
tectoniques sont l'expression d'une compression
nord-sud continue depuis le Crétacé moyen ,
entrecoupée de quelques mouvements paroxystiques
.Ils sont à l'origine d'un " embryon " de
Montagne Sainte-Victoire ( pli de Bimont ) situé
un peu plus au sud et un peu plus à l'ouest que
la chaîne actuelle. Des phénomènes orogéniques
semblables affectent à la même époque ( Crétacé
supérieur - Eocène ) l'ensemble de la
Basse-Provence et toute la zone sous-pyrénéenne
d'où le nom de " pyrénéo-provençale " donné à
cette phase tectonique .Quant aux conditions de
sédimentation durant l'Eocène elles restent très
proches ce celles qui prévalaient durant la
période précédente .Les horizons pédogénétisés
rouges à paléochenaux fluviatiles alternent
avec des formations de calcaires lacustres ( au
dessus de la barre de Rognac : le calcaire de
Vitrolles , le calcaire de Meyreuil , le
Calcaire de Saint-Marc et le calcaire du
Montaiguet ).Contrairement à une opinion
jusqu'alors communément admise , ces marnes
rouges éocènes contiennent dès la base (Vitrollien
, équivalent local et continental du
Dano-Montien ) des fragments de coquilles
d'oeufs que leur microstructure conduit à
attribuer à de grands oiseaux ratites , assez
semblables aux autruches actuelles et comme ces
dernières dépourvus de la capacité de vol. Ces
oeufs d'oiseaux se généralisent et se
diversifient dans les horizons marneux plus
récents sus-jacents au Calcaire de Saint-Marc et
d'âge Sparnacien.
A l'Oligocène (- 40
millions d'années ) les formations géologiques
du massif se caractérisent par une lacune
sédimentologique importante . La
plupart des auteurs y voient l'indice d'une
grande érosion planifiante qui aboutit à
l'effacement de tous les reliefs nés de la phase
tectonique pyrénéo-provençale, et donc d'une
grande partie du plissement qui formait le
premier massif de la Sainte-Victoire. De
nombreuses failles nord-sud apparaissent durant
cette période dans toute la Provence . Elles
traduisent la première surrection des grands
reliefs alpins.Un nouveau pli ( appellé
anticlinal de Sainte-Victoire ) se forme alors
au nord-est du pli de Bimont . Sous l'effet
d'une phase tectonique paroxysmale qui survient
aux alentours de - 48 millions d'années cet
anticlinal se rompt sous une poussée venue du
nord . Il déferle alors sur le pli de Bimont et
s'avance d'environ 2 kilomètres vers le sud
formant le chevauchement actuel de la crête de
la montagne . Des mouvements tectoniques
d'ampleur variable continuent d'affecter la
région jusqu'au au Miocène ( - 23 millions
d'années ). La silhouette définitive de la
chaîne est acquise vers - 15 millions d'années
.C'est cet exhaussement tardif ( évalué à 600
mètres environ ) et trés proche de notre Présent
qui confère à la Montagne Sainte-Victoire la
silhouette que nous lui connaissons aujourd'hui.
A la lumière des
connaissances géologiques actuelles , il est
donc clairement acquis que la Montagne
Sainte-Victoire qui existait à l'époque des
dinosaures crétacés était radicalement
différente dans sa structure , comme dans sa
morphologie et son élévation , du relief actuel.
Cette montagne , probablement moins haute , et
certainement plus décalée vers le sud et plus
étirée vers l'ouest , a quasi - totalement et
irrémédiablement disparue , le seul vestige
subsistant de cette première montagne étant le
chaînon des Costes Chaudes. Le relief actuel ,
issu de la tectogenèse post-oligocène et cher à
Cézanne et aux aixois , n'est que le succédané ,
le " clone " , approximatif du précédent . La
silhouette de la montagne actuelle , ainsi que
l'essentiel de sa structure , n'ont commencé à
se mettre en place que vers - 50 millions
d'années , bien longtemps ( plus de 15 millions
d'années ) après l'extinction des derniers
Dinosaures .
A consulter :
Paléobios ,
initiation à la Paléontologie
Une échelle
des temps géologiques
( site " Dol Dinosaur Omnipedia "
)
Une échelle
des temps géologiques
( site du " Museum of
Paleontology " de l'Université de Berkeley ,
California , U.S.A )
Une échelle
géo-chronologique pour l'ère Mésozoique
( site du " Museum
of the Rockies " , Bozeman , Montana , U.S.A )
Des cartes
paléogéographiques
figurant l'aspect de la planète aux différentes
périodes géologiques
Histoire
géologique du bassin de l'Arc de J. F Gonzalés